Publié dans le Monde le 18 août 2010
Guillaume Vuilletet, conseiller régional d'Ile de France
La tribune publiée le 10 août dans Le Monde par les responsables UMP du Grand Paris ne susciterait aucune réaction, tant elle se réduit à un exercice de louange au chef de l'Etat, si, pour cacher la légèreté de leur "vision" de l'Ile-de-France, comme toujours réduite à un projet de train électrique, les signataires ne s'étaient pas livrés, pratique décidément en vogue dans la majorité présidentielle, aux attaques personnelles et aux amalgames.
Puisque, soucieux de préserver des négociations en cours, ni Jean-Paul Huchon ni Bertrand Delanoë ne réagiront à ce texte, considérant sans doute tous deux qu'on ne demande pas à des lilliputiens la couleur des yeux de Gulliver, je souhaite rétablir ici, en tant qu'élu régional et ancien membre de la commission ad hoc du conseil régional consacrée au Grand Paris, quelques réalités.
Nicolas Sarkozy n'est pas le général de Gaulle. Et le "discours de Chaillot" tombera aux oubliettes de l'histoire, quand on glosera encore sur le célèbre "Delouvrier, remettez-moi un peu d'ordre dans ce bordel !" qui généra l'Ile-de-France que nous connaissons. C'est Bertrand Delanoë, le premier, qui voulut et commença de bâtir un Grand Paris dès 2004 en rassemblant l'ensemble des maires de la petite couronne qui souhaitaient œuvrer à l'émergence d'une nouvelle agglomération centrale. Dans ce combat, il fut, dès les premiers jours, épaulé et soutenu par Jean-Paul Huchon.
Le conseil régional d'Ile-de-France s'est fortement mobilisé sur le sujet avec une commission ad hoc menée par Jean Paul Planchou et le regretté Claude Pernes. La moindre de ses contributions à sans aucun doute été de définir la région Ile-de-France comme le périmètre réel de l'agglomération. Il ne s'agissait de ne laisser aucun territoire sur le chemin.
Depuis 1998 et l'élection de Jean-Paul Huchon, la région capitale ne souffre pas, quoiqu'en disent les élus UMP, d'une politique au fil de l'eau. Les tramways, le RER E, la prolongation des lignes de métro et la création des lignes de bus, les pôles de compétitivité sont nés sous l'impulsion de la gauche régionale et parisienne. Les électeurs, à trois reprises en Ile-de-France, à deux reprises à Paris, ont exprimé leur souhait de poursuivre sur cette voie d'un développement harmonieux, global et socialement juste de la région capitale.
Les signataires UMP de cette tribune qui ressemble beaucoup à un devoir de vacances prétendent que le Grand Paris fera de l'Ile-de-France une des grandes puissances économiques du monde. Mais notre Région est déjà la première Région d'Europe ! Frédéric Valletoux, Pierre-Yves Bournazel et Richard Dell'aglola s'en convaincraient facilement, s'ils lisaient avec plus d'attention les enquêtes internationales sans doute plus éclairantes que les sondages Opinion Way.
Alors, c'est vrai, le Grand Paris a pris du retard. Deux années durant, en effet, il a été l'otage des logiques partisanes de l'UMP et de la présidence de la République qui voulaient, en bloquant le Schéma directeur de la région Ile-de-France, en faire l'arme de reconquête de la droite francilienne. Deux années durant, en effet, il a été géré par un ministre confus et sourd aux élus du peuple, autocrate dont le projet, finalement, sera parti en fumée.
Des idées et non des slogans
Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy semble avoir pris en compte le jugement du peuple, incontestable, au soir du 21 mars 2010. Il a souhaité négocier directement avec Jean-Paul Huchon et Bertrand Delanoë lesquels, toujours favorables au dialogue, ont volontiers rencontré le chef de l'Etat.
Car, et c'est bien là le seul point de la tribune des responsables UMP du Grand Paris qui soit acceptable, nous devons dépasser les clivages partisans et inventer la métropole du XXIe siècle ensemble. Cela ne se fera pas en écrivant des textes indigestes où sont seulement évoqués, en fait d'avenir, les infrastructures, la recherche et l'enseignement supérieur, comme une révérence au portefeuille ministériel de Valérie Pécresse, autoproclamée chef de fil de la majorité présidentielle en Ile-de-France.
D'autre questions nous attendent, essentielles. Combien d'emplois serons-nous en mesure de créer dans les trente années à venir ? Quelle solidarité avec les régions voisines pour que la croissance profite à tous ? Saurons-nous simplifier l'empilement des politiques de logement qui conduisent à bloquer la construction de nouveaux logements quand il en faudrait 70 000 par an et désigner un seul chef de fil pour le faire ? Comment financerons-nous, au-delà du métro en rocade autour de Paris, une Francilienne ferrée qui rejoigne les villes de grande couronne, de nouvelles lignes de bus, d'autres tramways ? Comment limiterons-nous le coût écologique de notre croissance, notamment en préservant absolument les zones naturelles, en refusant le mitage, en densifiant l'espace urbain sans le déshumaniser ? Réussirons-nous à nous convertir aux méthodes du community planning afin que l'urbanisme devienne un outil en partage, un chemin commun ? Comment traiterons-nous des ghettos urbains, des zones rurales isolées et de la fracture territoriale de l'est francilien ?
Voici quelques questions parmi tant d'autres qui mériteraient, entre tous les élus d'Ile-de-France, de toutes sensibilités, mais aussi entre tous les citoyens, un débat au fond, respectueux et pluraliste. Ce débat, nous sommes prêts à l'avoir, dans la majorité de gauche qui soutient Jean-Paul Huchon, avec tous. Encore attendons-nous de nos adversaires qu'ils aient des idées et non des slogans.
Guillaume Vuilletet, conseiller régional d'Ile de France